Gwennaëlle Gribaumont / Pierre Loze / Georges Meurant / Pierre-Yves Desaive
L’IMPARABLE CONVERSION
De la masse minérale au corps végétal. Du noir au blanc. De la coquille fermée à la forme évidée… Robin Vokaer passe, haut la main, d’un extrême à l’autre.
Investissant de nouveaux développements plastiques, les dernières œuvres de Robin Vokaer s’installent en rupture avec celles qui précèdent. En apparence seulement. Une logique implacable cimente toute sa conversion. Pour preuve, quelques signes avant-coureurs annonçaient ce glissement esthétique. Les premiers indices apparaissent très tôt. On se souvient des volumes massifs de ses débuts. Ceux-là présentaient déjà des fenêtres dont les proportions avaient tendance à augmenter… Mais comme dans les forêts, les vrais chemins sont sinueux. Et c’est tant mieux ! Autant de pas de côté qui ne s’éclairent que rétrospectivement. Car il est bien naturel de se demander comment l’artiste réussit à passer de ses coquilles de petit granit, brutes et massives, à ces troncs évidés dont la sensualité appelle irrépressiblement le toucher.
En réalité, les deux démarches ne sont pas si éloignées. Connivence la plus évidente : toutes deux ,explorent le vide. Robin Vokaer tente d’apprivoiser ce néant, d’abord en cherchant à l’emprisonner dans ces cocons de pierre, avant de le contenir dans des sculptures totalement ajourées. L’artiste sculpte ici un espace que l’on peut habiter par la pensée, livrant des frontières permettant au vide de s’incarner.
Avant d’entrer dans ce processus d’évidement, il y a la rencontre. Loin d’être spiritualiste, Robin Vokaer reconnaît que l’arrivée, dans son atelier, d’une belle pièce de bois n’est jamais sans émotion. Il découvre sa masse, observe ses proportions. Il se change en caisse de résonance, attentif à tirer parti de ses volumes et de ses directions. Seul impératif ? Que l’identité et l’âme de l’arbre soient préservées. Plusieurs options se bousculent avant de fixer celle qui l’emporte. Vient alors cet interminable corps à corps. Geste après geste, l’homme explore l’intimité de la matière. Celle-ci quelque fois résiste. Toujours, elle impose son rythme. L’artiste persiste. A-t-il d’autres choix ? L’expérience conduit le sculpteur à une forme de dissociation. Quelques minutes, à peine plus, suffisent pour que le cerveau se détache de notre réalité pour s’enfoncer dans des méandres méditatifs, à l’écoute des murmures de l’arbre. Les mains sont à l’œuvre. Elles connaissent le chemin. Sans se perdre dans des dérives anthropomorphiques, il est certain qu’un dialogue s’installe entre le sculpteur et le fût de bois. L’accord est tacite, chacun sait ce qu’il attend de l’autre.
Et que dire de cette éclaircie ? Robin Vokaer range ses préjugés surannés pour sonder les ressources du marbre blanc de Carrare. Le même que l’étudiant qu’il fût avait d’emblée écarté. À ses yeux, une œuvre doit être belle par ce qu’elle incarne, ce qu’elle dégage… Non par le caractère « séduisant » de la matière. Avec le temps, sans doute a-t-il compris que les deux n’étaient pas incompatibles.
Gwennaëlle Gribaumont
2021